Rencontre avec Nadège Abadi
Nadège Abadie au Festival Entrevues de Belfort : portrait d’un exil dans l’attente
Lors de l'édition 2024 du Festival Entrevues de Belfort, l'équipe de la radio Flux4 a reçu Nadège Abadie, cinéaste, photographe et autrice, venue présenter son court métrage Beshar. Ce film, en compétition officielle, dresse un portrait poignant et minimaliste d’un exilé kurde en Suisse, explorant les thèmes de l’attente, de la solitude et de la résilience.
L’histoire de Beshar : entre l’intime et l’universel
Dans Beshar, le spectateur suit le quotidien d’un homme ayant fui le Kurdistan irakien après trois guerres et les menaces de Daesh. Arrivé en Suisse en 2014, Beshar espérait réunir sa famille à Genève, mais dix ans après, il demeure seul. La caméra de Nadège Abadie capte minutieusement sa routine : se raser, repasser ses vêtements, ou manipuler son matériel orthopédique, dévoilant une jambe meurtrie. À travers ces gestes, le film restitue l’épaisseur du temps d’attente et la charge émotionnelle de son exil.
Une œuvre née d’une rencontre
Ce projet trouve ses racines dans les ateliers d’écriture et de photographie menés par Nadège Abadie avec des exilés en Suisse entre 2016 et 2019. C’est à cette occasion qu’elle a rencontré Beshar et qu’une amitié s’est tissée, malgré l’absence de langue commune. Nadège confie avoir été frappée par la démarche particulière de cet homme, qualifié de « patriarche aux ailes blessées », une image qui a nourri sa vision cinématographique.
Un cinéma du regard et du temps
Avec Beshar, Nadège Abadie impose une esthétique forte : plans prolongés, silence pesant, et ruptures abruptes marquées par des écrans noirs. L’un des plans les plus marquants est celui où Beshar se rase pendant sept minutes, une scène qui exige du spectateur qu’il s’installe dans le rythme lent et introspectif du film. Ces choix esthétiques visent à rapprocher le public de l’expérience du personnage et à transformer une histoire ordinaire en une œuvre d’une profonde humanité.
Un dialogue entre le mouvement et l’immobilité
Le film juxtapose le quotidien figé de Beshar à des images poétiques du monde en mouvement : neige qui tombe, trains qui passent, ou paysages filmés depuis un wagon. Ces séquences, renforcées par un travail sonore subtil, symbolisent le contraste entre la vie qui continue et l’immobilité imposée par l’exil.
Un portrait d’incomplétude
Pour Nadège Abadie, Beshar est avant tout un portrait, avec ses zones d’ombre et son incomplétude assumée. Elle revendique l’impossibilité de tout montrer, soulignant que cette lacune rend le portrait vivant et complexe. À travers ce court métrage, elle cherche à révéler ce qui est souvent invisible : l’humanité silencieuse des individus comme Beshar, dont l’histoire résonne bien au-delà de son cadre intime.
Un témoignage empreint de dignité
Par sa mise en scène épurée et respectueuse, Nadège Abadie offre un regard noble sur son protagoniste. Le spectateur est invité à partager l’espace d’un instant l’attente interminable de cet homme, tout en s’interrogeant sur la condition des exilés à travers le prisme de son histoire.
Présenté au Festival Entrevues de Belfort, Beshar témoigne de la capacité du cinéma à transcender les frontières du réel pour inviter à la réflexion et à l’empathie. Un film qui, à n’en pas douter, continuera de marquer les esprits bien après sa projection.
Journaliste : Nicolas Bezard et Öykü Sofuoğlu
Réalisation & Photo : Olivier Legras