La somme considérable de Simon Reynolds, Rip It Up And Start Again, nous avait révélé la spécificité du post-punk, mouvement qui ne vient pas tant “après”, mais qui s’impose comme une vision esthétique pluridisciplinaire à la fin des années 70. New Wave, initié par Jean-François Bizot nous donnait des pistes sur les variations françaises du mouvement, mais sans s’attarder sur ce qui avait fait le propre de la production au cours de ces années d’une richesse inouïe. C’est un autre Jean-François, Sanz, qui a initié une belle exposition dans la galerie du jour agnès b. Le commissaire d’exposition s’inspire justement de la “une” d’Actuel, la revue de Bizot, pour regrouper les pièces de cette sélection — photos, disques, coupures de journaux et artefacts — et intituler le catalogue qui l’accompagne, Jeunes Gens Mödernes, Post-punk, Cold Wave et Culture Novö en France (1978-1983). Cette “une” s’intéressait à ces jeunes gens modernes, Marquis de Sade, Artefact et Jacno et affirmait avec beaucoup d’ironie qu’ils “aimaient leurs mamans.” Le trait avait été délibérément forcé, faisant passer le pauvre Frank Darcel pour le crypto-fasciste qu’il n’était pas. Quoiqu’il en soit, en février 1980, on sent qu’il s’est passé quelque chose, et il faut être aveugle et sourd pour nier l’existence d’initiatives heureuses et concordantes, qui sonnent comme la juste réponse à ce qu’il se passe en même temps en Angleterre. Les Stinky Toys ont fait la “une” du Melody Maker, et ils sont nombreux à leur emprunter le pas, dans une version du punk qui pour être décadente, n’en est pas moins ultra-référencée et arty. Elli et Jacno — la version clean-néo yéyé des Stinky Toys —, Marquis de Sade, Taxi Girl, et tous les autres, Tokow Boys, Mathématiques Modernes, Electric Callas, Casino Music, Etienne Daho, Sax Pustuls, Métal Urbain, Marie et Les Garçons, Kas Product, Rita Mitsouko ou Lizzy Mercier Descloux sont quelques uns parmi ces nombreux groupes à explorer l’angulosité avec plus ou moins de succès. En tout cas, ils n’ont rien à envier, à leurs lointains cousins outre-Atlantique, ni même outre-Manche. Ils ne sont d’ailleurs que le prolongement — et parfois même à l’initiative — de ces sons mi punk mi-disco, mi-funk mi-electro. Si l’exposition présente le danger de donner l’illusion d’un mouvement coordonné, théorisé en grande partie par Yves Adrien, le novövisionnaire, dans Rock’n’Folk et Alain Pacadis dans Libération, elle n’en rend pas moins compte de manière détaillée, ville par ville, d’une onde de choc qui ne tarde pas à nous plonger dans une esthétique nouvelle, celle des années 80, flamboyantes au moins dans ses premières années — l’explosion des radios libres, de la culture de rue et des expositions spontanées —, jusqu’en 1984, avant que le système de répression ne s’organise, ne réagisse et ne vomisse sa nouvelle chape de plomb médiatique. Nous étions les petits enfants du rock, nous nous savions les enfants du post-punk, l’existence de ce bel ouvrage nous le confirme avec brio. (E.A.)
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