White Bicycles, de Joe Boyd

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Certains noms apparaissent de manière récurrente sur les pochettes des disques qu’on aime. Celui de Joe Boyd nous est familier, puisqu’il est mentionné aussi bien sur les compilations des premiers singles de Pink Floyd que sur les albums de l’Incredible String Band, de Fairport Convention, et bien sûr sur ceux de Nick Drake, dont il était le producteur attitré. Nous n’en savions guère plus jusqu’à la publication de White Bicycles, l’autobiographie dans laquelle ce natif de Boston expose son parcours artistique, de ses premiers émois télévisés à l’automne 1954, devant l’émission diffusée quotidiennement depuis Philadelphie, Bob Horn’s Banstand sur WFIL-TV, jusqu’à la mort de Nick Drake en 1974, et la vente de Witchseason, la maison d’édition qu’il avait créée en tant que producteur.
En esprit éclairé et curieux, Joe Boyd restitue l’essence même d’une des périodes musicales les plus riches du siècle dernier : il est présent là où il faut, au moment où il faut, au Festival de Newport en 1965 notamment, quand Dylan se présente avec une formation électrifiée — un événement dont il minimise le scandale, évacuant la part de mythe qu’on lui associe — ; cet Américain est également à Londres en 1966 pour le compte de l’antenne britannique du label Elektra du puissant Jac Holzman ; il y croise des personnalités, parmi lesquelles Eric Clapton, avant de découvrir Pink Floyd et son leader charismatique, Syd Barrett, dont il est amené à produire le premier single, Arnold Layne. Là où son ouvrage prend une dimension nouvelle, c’est précisément quand il prend de la distance par rapport à son propre récit et nous livre en quelques pages l’évolution du temps, en nous évoquant le passage du jazz et du blues à la pop par exemple, ou la révolution artistique psychédélique qu’il vit intensément au cœur de l’underground londonien, en fondant avec John Hopkins le club UFO au 31 Tottenham Court Road. Le regard qu’il porte sur son époque est lucide, critique, parfois résigné quand le public ne va pas dans le sens qu’il souhaiterait ou au contraire, très enthousiaste quand il se sent en phase avec les succès qui se créent autour des artistes qu’il affectionne. Naturellement, l’intérêt vient aussi de cette vision de l’intérieur du music business, dont il nous révèle les enjeux de manière détaillée, rompant ainsi avec cette vision angélique qu’on a des ’60s ; à la lecture, on se rend bien compte que les considérations commerciales de l’époque ne sont pas si éloignées de celles qu’on connaît aujourd’hui. Le système est en place, la violence des relations — succès, échecs, destruction — est équivalente.
Et puis, il y a Nick Drake, figure céleste, qu’on croit si lointaine, mais à laquelle Joe Boyd redonne vie, avec une émotion contenue, mais manifeste. On sent bien qu’il ne veut pas sombrer dans la nostalgie à l’évocation de son ami si talentueux. Pour son témoignage vibrant, il multiplie les détails qui visent à nous situer le jeune homme fragile dans des instants bien réels, loin de tout mythe, mais de cet équilibre précaire entre récit clinique et évocation attendrie, il se dégage une profonde mélancolie. Le sentiment se prolonge à l’écoute des chansons du songwriter de génie pour lesquelles Joe Boyd a proposé un arrangement unique à chaque fois, Time Has Told Me, Fruit Tree, River Man ou Cello Song, pour ne citer que celles extraites de Five Leaves Left, premier chef d’œuvre éternel enregistré en 1969. L’occasion sans doute de se replonger dans une œuvre trop courte dans le temps, mais à jamais essentielle à la vie de chacun. (E.A.)
De Joe Boyd — Editions Allia

 

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