Dans Les Géants, trois mômes se retrouvent livrés à eux-mêmes à la campagne. Dans ce film qui prend des allures de conte moderne, ils errent dans la forêt en quête de repères. Rencontre avec le réalisateur Bouli Lanners et l’un de ses jeunes acteurs Zacharie Chasseriaud. |
Dans Les Géants, Zak, Seth et Dany sont l’affirmation de la liberté absolue même s’ils se heurtent durement à la réalité. Malgré les embuches, ils continuent d’avancer. Est-ce en cela qu’ils sont des “géants” ?
Bouli Lanners : Oui, mais aussi parce qu’ils prennent la décision à la fin de ne pas s’arrêter chez la mère. Ils deviennent non pas des adultes, mais plus que des adultes. Et puis le titre insiste sur un paradoxe : ils apparaissent comme des géants, mais restent tous petits dans cette énorme forêt, avec les certitudes de leur âge, des certitudes qui peuvent être très vite broyées.
Ce qui résulte de leur parcours, leur odyssée forestière, c’est le sentiment d’abandon : une mère qui n’appelle plus, un jeune livré à la terreur de son propre frère…
B.L. : L’abandon de la mère est pour moi la chose la plus terrible ! Cette notion d’abandon est la thématique que j’aborde dans mes autres films, tout comme l’éclatement de la structure sociale qui fait de mes personnages des personnes en errance. Pour ce film, j’avais envie d’aborder le sujet de la mission parentale non pas en faisant un film social mais en construisant un vrai conte, avec des contre-pieds en termes d’images et de décors. Je crois à la nécessité du cadre familial, notamment à l’âge où l’on commence à s’affirmer. De manière plus générale, je reste persuadé que depuis le néolithique, la structure familiale est la base d’une société relativement saine.
J’imagine, Zacharie, qu’il n’est pas aisé d’interpréter ce rôle d’adolescent, abandonné par sa mère…
Zacharie Chasseriaud : Au niveau du jeu, j’ai été bien dirigé par Bouli. C’était donc beaucoup plus simple. Après dans le film, personnellement je ne crois pas à cet abandon. Il est impossible que ma mère m’abandonne. Mon frère Martin l’affirme : « Elle nous a abandonnés, c’est la réalité ! » Moi, je suis plus jeune, je ne peux y croire. Ça n’est qu’à la toute fin du film, au moment où je jette le téléphone, que je me rends compte que nous ne sommes plus que nous trois, Dani, mon frère et moi.
Bouli, vous êtes-vous inspiré de la personnalité de vos jeunes acteurs pour faire évoluer vos personnages.
B.L. : Le film était écrit dans les grandes orientations, mais dans la relation des deux frères, il y a des moments où je me suis inspiré des acteurs effectivement. Leurs attitudes m’ont suggéré des choses qu’on a travaillées, puis jouées et mises en scène. Du fait de la très grande amitié qui les a liés à Dany (Paul Bartel), j’ai modifié la présence du personnage pour constituer, au final, un vrai trio totalement fusionnel : ce trio est devenu un personnage à part entière.
Parlez-nous de cette relation qui est née sur le tournage…
B.L. : Dès qu’ils se sont vu, ça a été très fort de suite.
Z.C. : Surtout avec Paul [Bartel, ndlr] !
B.L. : Cette rencontre était vraiment intense. Je me suis dit : « C’est terrible ! »
Z.C. : Dès le premier jour du casting !
B.L. : Oui, le premier jour du casting !
Z.C. : Je n’avais même pas fait d’essai avec lui, mais j’ai insisté !
B.L. : J’avais les deux premiers rôles et il me restait trois garçons pour attribuer le dernier rôle. Avant même qu’on en parle, tout de suite, quelque chose s’est passée : un truc radical !
Z.C. : Paul, je ne lui avais même pas parlé. Martin [Nissen, Seth dans le film, ndlr] faisait des essais quand je suis arrivé. Après qu’on a fini les scènes, nous sommes allés voir Bouli pour lui dire qu’on voulait Paul. On lui répétait : « Prends Paul ! »
B.L. : Oui, ils m’ont dit : « C’est Paul ! »
Z.C. : Avec Paul, on ne s’est parlé qu’à la fin dans la voiture. Ça a collé tout de suite...
L’un des autres personnages essentiels de ce conte est la forêt enveloppante, qui materne les gamins.
B.L. : Paradoxalement dans le film, c’est dans les maisons que les gamins sont le moins en sécurité et en opposition à cela, la nature les sécurise. Je vois vraiment la mère nature comme l’ersatz de quelque chose de rassurant, même dans la rivière, la rivière les porte comme une mère peut les porter.
Vous même, alliez vous vous réfugier dans la nature ?
B.L. : J’ai toujours eu ce besoin de confrontation, la nature m’apaise. Elle me donne une espèce de sérénité que je n’arrive pas à avoir en société, elle me permet de voir autre chose. J’ai vraiment besoin de la nature, encore aujourd’hui.
Dès les premières scènes du film, nous sommes plongés dans le son de No Love Lost de Joy Division. On imagine une réminiscence de votre propre adolescence…
B.L. : [visiblement ravi] Oh oui, j’étais un dingue de Joy Division. Nous avons essayé avec ce morceau-là et nous nous sommes dits : « Merde, ça marche ! » Alors, nous avons essayé d’obtenir les droits mais comme ça coûtait cher, nous avons acheté 20 secondes du morceau que nous avons mis en boucle, ce qui fait qu’on obtient une minute de musique. Eldorado commençait par un morceau des Milkshakes, là de débuter avec ce morceau de Joy Division [en fait un titre des débuts sous le nom de Warsaw, repris récemment par LCD Soundsystem, ndlr] qui n’est pas forcément le plus connu, ça me faisait bien plaisir.
Pour la B.O. du film, Bram Vanparys a enregistré des maquettes sur site, en plein tournage. On imagine une émotion particulière…
B.L. : Oui, je me rappelle d’avoir été super ému à la première écoute. Nous étions en plein tournage sur les bords de la rivière ; il est venu pour me faire écouter les maquettes : j’ai craqué, j’ai pleuré tellement ça correspondait à l’ambiance du film. Nous avons essayé d’enregistrer en studio, mais ça perdait cette dimension authentique, presque organique. Nous avons donc conservé l’émotion initiale…
Le film a été récompensé à la Quinzaine des Réalisateurs. Nous étions présents au moment de la remise des prix… Il s’en est suivi une belle soirée, où vous même, Zackarie et les autres acteurs, vous n’avez cessé de danser. À votre âge, comment vit-on une telle soirée ?
Z.C. : C’était magique ! Nous étions sur le plateau de Canal+ l’avant-veille et franchement, on ne savait pas quoi faire… On nous parlait du film, mais nous ne l’avions pas vu. [Ils ne l’ont vu que le soir de la cérémonie de clôture de la Quinzaine, ndlr] Lors de la cérémonie, nous avons enfin pu voir le film, et il a été primé ! Tout le monde a applaudi, on en était même un peu gênés… De voir le film à Cannes, qu’est-ce que tu veux que je dise de plus ? C’était fort en émotions, même presque trop…
Propos recueillis à l’occasion de l’avant-première des Géants le 21 octobre au cinéma Star, à Strasbourg
Par Emmanuel Abela et Anne Berger