Sébastien Tellier, l'aventure intérieure

sebastien-tellier.jpg Il a fait de ses virages à 90° une marque de fabrique. Et pourtant. il y a une continuité dans l’œuvre de Sébastien Tellier. Après le psychologique et le politique. le francilien attaque de front la question du sexuel. Une manière de clore aux côtés de Guy-Manuel de Homem Christo. le producteur et membre de Daft Punk. ce qui constitue un vrai triptyque.
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Beaucoup affirment que vous avez changé de cap avec Sexuality. Moi. j’y vois au contraire la continuité de vos explorations personnelles.

Oui. c’est tout à fait cela.  Même si je change de cap artistiquement. je poursuis l’aventure intellectuelle dans laquelle m’a plongé la musique. Je me reconnais dans ce disque. comme je me reconnais dans ceux d’avant. même si la continuité se situe plus dans le fond que dans la forme.

En quoi la présence de Guy-Manuel a-t-elle favorisé la cohérence de l’ensemble ?


Il est vrai que sur L’Incroyable Vérité. mon premier album. je découvrais ce que je faisais au moment de l’enregistrement. Et comme Politics. l’album suivant. évoquait divers coins au monde. j’abordais des styles bien différents. Là. j’avais vraiment envie de renforcer la dimension conceptuelle du disque et de structurer le tout. J’ai toujours apparenté les disques qui sortent. mais qui ne s’appuient pas sur un concept fort. à des sortes de compilations. Guy-Man est obsédé par un souci d’homogénéité. qui va du premier son de boîte à rythme à l’ultime photo de presse. Il m’a transmis cela. Et comme c’est un grand producteur. j’ai pris du plaisir à me laisser guider. Nous avons construit les morceaux ensemble. en plaçant les rythmiques en premier. Il se chargeait du squelette de la chanson. lui donnait une assise. Il m’a apporté tout ce dont je ne disposais pas. 

Les sons proto-électroniques que vous utilisez s’inspirent de sonorités seventies. et pourtant ils restent d’une incroyable modernité.


Ces sons sont à peu près autant inspirés des années 70 que ceux des années 80. Et pour certains morceaux. comme Fingers Of Steel. on retrouve des choses qu’on a entendues au début des années 90. chez Snoop Doggy Dogg ou Dr. Dre. Mais je dirai volontiers que le style musical ne présente plus tant d’intérêt pour moi. Ce qui m’importe c’est le message. C’est aussi l’émotion que l’artiste souhaite transmettre au public. Pour une chanson. il suffit de choisir. on peut l’orchestrer avec du banjo. des synthés ou ce qu’on veut. Là en l’occurrence. il s’agissait de renforcer le côté sexuel avec des sonorités chaudes. Avec Guy-Man. nous avons obtenu un résultat savoureux et sensuel.

 

Pour vous. le fond prime donc sur la forme ?

Je rejette un art qui ne serait que formel et en même temps si l’accent n’était mis que sur le fond. je ne serais pas satisfait non plus. En fait. je cherche un équilibre parfait entre ce qui peut sembler superficiel et une approche deep. plus profonde. Les gens que j’aime. Gainsbourg. Christophe. les Stones ou les Beatles. parviennent à cet équilibre tout en diffusant des messages d’esprit.

L’album s’intitule Sexuality. Il est évocateur. souvent suggestif. il est parfois incitatif. D’où vous est venue l’idée de placer le sexe au coeur d’une thématique globale ?

Je ne sais pas si c’est le terme de ma pensée — je verrai ça. plus tard ! —. mais la conclusion de mes réflexions me conduit à placer la question de la reproduction au-dessus de tout.

Le fait de perpétuer l’espèce ?

De vivre tout simplement. et de transmettre cette vie. À l’avenir. je situerai le sexe à la base de toute ma réflexion.


Ce qui est amusant. c’est que dans votre album précédent. vous abordiez la question du politique. Tout est politique. tout est sexuel ?

Quand j’ai fait Politics. je pensais que la politique régissait la société mais je suis obligé d’admettre qu’au-delà du psychologique. au-delà du politique. le sexe l’emporte à chaque fois. il est le plus fort. Il contrôle tout. y compris l’argent qui le sert. On se rend bien compte aujourd’hui qu’un type comme Nicolas Sarkozy utilise la politique à des fins sexuelles. 

Au-delà du propos général sur le sexe. il y a une part d’intimité personnelle qui s’exprime.

Oui. bien que le sujet soit universel. j’ai voulu placer des petites choses personnelles. Les chansons révèlent un certain nombre de mes propres fantasmes ou relatent des expériences que j’ai vécu moi-même. mais je n’ai pas voulu aller très loin. Quand un artiste livre trop de choses sur son intimité. ça me dégoûte un peu. 

Sur le disque. nous sommes plus proches d’une forme d’érotisme que de la pornographie…

J’ai voulu apporter quelque chose qui soit l’inverse de ce que nous proposent des gens comme R. Kelly. C’est du R’n’B américain. J’adore les rythmes. la basse. l’utilisation des synthés. c’est même ce que j’écoute le plus souvent chez moi. mais le message qui est diffusé autour du sexe reste mauvais. 

Ce qui est amusant. c’est que vous avez travaillé avec le bassiste. qui composait des B.O. pour les films de Marc Dorcel.

Pour être précis sur le sujet. je ne l’ai pas sollicité directement. Ce qui me réjouissait le plus. c’était de travailler avec Guy-Man. Les choses se sont faites naturellement : il est venu à la maison. a bu du champagne. Au moment où je lui ai fait écouter mes maquettes. on ne s’est pas posé la question de savoir si c’était oui ou non. nous nous sommes donnés rendez-vous au studio. Le premier jour. j’ai découvert son équipe et là. j’ai rencontré Rico qui devait jouer de la basse-synthé sur l’album. J’ai appris à ce moment-là qu’il avait fait toutes les musiques de films de Marc Dorcel dans les années 80.

Une vraie coïncidence !

Oh oui. c’était formidable. je tombais par hasard sur un grand spécialiste des musiques de films érotiques et pornographiques. Et au-delà de ça. j’en suis arrivé à la conclusion que c’est bien lui qui a éduqué notre oreille. Il n’a pas copié une manière de faire dans le domaine. il a créé la manière. 

Sa présence vous a-t-elle conforté ?

Oui naturellement. sa présence à la basse-synthé a rajouté une bonne part de sensualité sur le disque. Généralement. les sons qui groovent ou qui tournent nous viennent des Etats-Unis et plus précisément de la musique noire américaine. Là. je voulais quelque chose qui groove. mais à la façon européenne. Même si je ne me pose pas en spécialiste. le porno européen a beaucoup plus de personnalité que le porno américain. et le groove à l’européenne vient sans doute des musiques qu’on peut entendre dans ces films-là. 

On le sait. le porno américain est complètement aseptisé.


Il en va de même pour la musique. avec des petits violons soyeux et des synthés cheap. Rien à voir avec la production musicale pour les films européens que j’apparente volontiers à ce qu’on peut entendre chez Gainsbourg. au cours de la dernière période. C’est ça. notre touch à nous.

Vous vouliez écrire des musiques pour des villes nouvelles. à la manière de ce que fait Eric Rohmer au cinéma. Finalement. Eric Rohmer et Marc Dorcel. il y a un lien dans l’approche. non ?

Oui. ce sont deux français radicaux. Quand Eric Rohmer filme les villes nouvelles comme Cergy. c’est cru et en même temps. c’est le grand n’importe quoi. c’est concret et c’est complètement absurde. Il obtient quelque chose d’un peu spécial que j’adore ! Moi. mon rêve. ce serait de faire des musiques pour les films de Bertrand Blier. J’aurais rêvé de composer pour Les Valseuses. par exemple.

Ça peut encore arriver…


Oui. et en même temps. est-ce qu’il penserait à faire appel à quelqu’un comme moi ? Ce serait trop beau…

Vous-même. quelles sont les musiques qui vous stimulent sexuellement ?


Moi. c’est plutôt Diana Ross. Marvin Gaye ou Curtis Mayfield. des choses comme ça…

Récemment. vous avez remercié la société actuelle de nous offrir autant de sexe. N’avez-vous pas le sentiment au contraire que cette surenchère est justement une manière sournoise de nier le sexe ?

Ce que je voulais dire. c’est qu’à la place des images de ces femmes à moitié nues sur les affiches ou à la télévision. on aurait pu plus mal tomber. Mais ce que vous dites est très vrai aussi. Nous sommes archi-sollicités. et ça peut provoquer des frustrations chez ceux qui n’ont pas la chance de vivre une sexualité épanouie. C’est bien pour cela que j’ai souhaité réaliser un album assez doux qui soit centré sur le sexe. mais de manière sentimentale. Pour moi. le sexe sert aussi à séduire l’esprit. 

Propos recueillis par Emmanuel Abela / Photo : L.Brancovitz

Dernier album : Sexuality. Record Makers / Discograph

En concert au festival Les Nuits Électroniques de l'Ososphère, le vendredi 26 septembre, quartier Laiterie à Strasbourg à 21h30.

Site internet : www.osophere.org