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Dès la publication de sa première BD. Trois Fois Un. une adaptation de trois nouvelles de Tonino Benacquista. on sent que le style de Gabrielle Piquet pourrait prendre d’autres directions moins ancrées dans le réel. plus proches d’une forme de poésie graphique. |
Vous avez fait des études en sciences politiques. mais vous avez pris la décision de vous consacrer au dessin. Aujourd’hui. je suppose que vous n’avez aucun regret ?
Non. vraiment aucun regret. J’ai fait trois ans en sciences politiques et comme je ne me projetais pas vraiment dans le milieu. je suis partie à Londres pendant un an et demi. histoire de prendre la décision de changer mon fusil d’épaule. Ensuite. je suis rentrée et j’ai fait les Beaux-Arts d’Angoulême pendant trois ans.
On a le sentiment. à la lecture de Trois Fois Un que ces études vous ont donné envie d’ancrer vos histoires dans le quotidien…
Oui. sans doute. Après. on ne sait pas vraiment pourquoi on est attiré par certains sujets et pas par d’autres. Ce qui m’intéressait dans ces études en sciences politiques. c’était le fait que c’était vaste et que ça ouvrait vers des possibilités multiples. Si on prend l’exemple de La Pétition. l’une des trois nouvelles que j’adapte de Tonino Benacquista. ça n’est pas politique. mais c’est social. Ça n’est pas engagé. mais d’une certaine façon. ça se veut réaliste.
Est-il si simple d’adapter des nouvelles qui n’ont pas été écrites pour la BD ? Il faut s’inscrire dans le rythme…
Ce qui m’a frappé à la lecture des nouvelles de Benacquista. c’était la fluidité du récit. Comme je souhaitais rendre cette fluidité. je n’ai pas utilisé de cases. J’avais le sentiment que ça faciliterait la lecture. Pour moi. il était important de pouvoir explorer des ambiances différentes. Quand j’ai commencé les Beaux-Arts. je faisais de la bande dessinée de manière assez classique. avec des cases. C’était très cadré — c’est le cas de le dire ! —. mais le jour où j’ai décidé de faire sauter la case et de laisser de la place au blanc. ça me paraissait beaucoup plus expressif. J’ai vraiment envie de poursuivre sur ce mode-là.
Le procédé vous permet d’explorer des sentiments très différents. il y a de la nostalgie dans La Volière. une forme de poésie dans Q.I.. de l’action et du mouvement dans La Pétition. Quel lien voyez-vous entre ces trois histoires ?
Je ne suis pas sûr qu’il y ait un lien entre ces trois histoires. Ce que j’ai aimé dans La Pétition. c’est le fait qu’un type puisse se perdre dans ses objectifs. J’ai trouvé ça assez drôle. et en même temps assez pathétique. Pour les deux autres histoires. La Volière et Q.I.. c’est moins l’histoire qui m’intéressait que la poésie qui s’en dégageait. Trois Fois Un correspond à trois parcours différents. des histoires de personnes ordinaires.
Parmi vos influences. il y a une qui m’intéresse vraiment. c’est celle de Georges Grosz. Qu’appréciez-vous chez lui ? Son angulosité. son regard cynique sur le monde qui l’environne ?
Oui. c’est ce que j’aime chez lui. mais au-delà de sa critique sociale. j’apprécie son trait. Ce qui est amusant. c’est que je connaissais surtout ses peintures. et beaucoup moins ses dessins. Après avoir commencé la BD. j’ai découvert un ouvrage avec ses illustrations. Alors que je m’étais déjà lancé dans la réalisation de mon album. j’y voyais une filiation directe. Ce qui m’a frappé. ce sont les effets de transparence. autour de figures et de motifs qui se superposent. C’est très proche de ce que je cherchais à faire. et même si ça m’embête un peu. je dois admettre qu’il m’a influencé inconsciemment.
On sent à la lecture de Q.I.. le troisième récit. que votre BD pourrait emprunter d’autres chemins plus poétiques. avec des modes narratifs complètement renouvelés.
Il est vrai que dans Q.I.. je raconte ce qui se passe dans la tête d’un petit garçon. ça m’a permis certaines libertés. notamment dans la courte scène du rectorat. Alors pour la suite. il est vrai que je cherche une histoire avec une narration qui permette de s’échapper par moments. dans un monde imaginaire. J’ai discuté avec des scénaristes. mais pour le moment ça n’aboutit pas. alors je ne sais pas. Peut-être. vais-je opter pour une autre adaptation ?
Et une expérience graphique qui serait de l’ordre du sentiment pur ?
En fait. je ne suis pas sûr d’avoir envie de me couper du récit. J’ai envie de raconter des histoires de manière mélangée. en alternant des instants narratifs de facture presque classique avec des moments où l’on entre dans la tête des gens.
On a le sentiment que vous pourriez vous-même vous lancer dans un scénario personnel…
Oui. et en même temps. je me sens encore un petit peu jeune pour scénariser moi-même. Sur 40 ou 50 pages. ça pourrait aller. Mais sur un récit plus long. ça me paraît tôt. parce qu’il faut trouver des ressorts au niveau de la narration. avec des personnages suffisamment ancrés. Je n’ai pas encore 28 ans. et j’ai encore le temps de voir venir…
Propos recueillis par Emmanuel Abela
Dernier album : Trois Fois Un. Futuropolis