Derrière la veulerie des personnages sinistres qui multiplient les erreurs stratégiques, Max Gallo exhume les actes d'héroïsme, longuement occultés, des combattants français qui n'ont pas souhaité se soumettre. Dans 1940, de l'abîme à l'espérance, il fait revivre ces événements qui nous paraissent déjà lointains, mais survenus il y a seulement 70 ans.
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Cet ouvrage sort à l'occasion des 70 ans de la débâcle ; il y a une chose étonnante : de 1870 à 1940, il y a 70 ans. Peut-on voir un signe dans le fait que vous publiiez cet ouvrage très précisément 70 ans après ?
C'est très juste. Très franchement, je n'avais jamais pensé à ça. C'est une coïncidence intéressante. Mais il ne faut pas y voir un signe. Souvent quand on parle de 1940, on évoque 1870, ne fusse que parce que le rôle de Sedan a été central, à la fois en 1870, puisque c'est là que l'armée de Napoléon III a été battue, c'est là qu'il s'est rendu aux Prussiens, et c'est là que s'est fait la percée en 1940 qui a été décisive.
Dans votre ouvrage, vous accordez la parole aux grands acteurs de cette histoire-là, y compris à l'ennemi.
Oui, je tenais beaucoup à mettre en scène un personnage qui soit acteur de cette affaire, donc quoi de mieux qu'un général de Panzerdivisionnen. Rommel est à la fois un soutien du nazisme, mais il n'est pas nazi lui-même, c'est un officier traditionnel. Et comme je cite quelques fois des lettres de de Gaulle à sa femme, j'avais là un dossier dans lequel il y avait les lettres de Rommel à sa femme, et c'est ce que j'ai choisi. J'ai tenu à ce qu'il y ait cette voix de l'ennemi.
Il y a ce passage extraordinaire, où il parle d'un Tour de France « éclair », il y a une note d'enthousiasme et d'humour presque grinçant. Il fut un temps où on ne pouvait pas forcément recevoir cette parole en France. Est-ce que c'est aujourd'hui plus aisé ?
Je ne sais pas. Je ne crois pas avoir lu beaucoup de livres qui le font. Mon propos est de ne pas caricaturer Rommel. Dans mes livres d'histoire, j'essaie de donner le maximum d'éléments factuels qui permettent au lecteur de choisir lui-même et de se forger sa propre opinion. Quand Rommel croise une colonne de troupes françaises, et un lieutenant-colonel refuse de se soumettre et se fait abattre. C'est un épisode extrêmement pathétique, et héroïque, puisque le type refuse de monter dans un tank, et à ce moment-là, trois sommations, on l'abat. Là je n'ai pas besoin de faire un discours sur l'inhumanité de cette décision. On voit ce que c'est que la guerre, on voit comment un officier français, dont on n'a pas retrouvé le nom, refuse de plier, et accepte de mourir comme ça. Pour moi cette anecdote en dit beaucoup plus sur la guerre que bien des discours.
C'est une anecdote qui renvoie à une constante dans l'ouvrage, ces instants d'héroïsme qu'on a tu pendant très longtemps. On découvre des Français qui combattent même au-delà de l'Armistice. Il y a des gens qui pratiquent déjà le sabotage.
C'est intéressant de le voir, mais en réalité c'est totalement oublié. C'est pour ça que je dis de l'abîme à l'espérance, et que ça se termine avec la grande manifestation des étudiants et des lycéens le 11 novembre 1940. La France a été battue en juillet, quatre mois passent, et il y a déjà des gens qui manifestent contre. Il y en a qui ont coupé les fils téléphoniques, il y en a qui ont coupé les tendons des chevaux réquisitionnés, il y en a qui mettent des graffitis sur les murs. Je voulais absolument que cette réalité-là apparaisse.
Pourquoi l'a-t-on occultée pendant si longtemps ?
Je ne crois pas du tout qu'il y ait eu une intention. C'était des actes isolés, spontanés, qui, par rapport à la taille du phénomène, l'Exode, la défaite, n'apparaissent pas comme significatifs. La manifestation du 11 novembre des étudiants, rares sont ceux qui la connaissent, bien qu'un livre vienne de sortir, et qu'il existe une association d'anciens étudiants de la manifestation du 11 novembre 1940.
Au delà de la situation purement historique se jouent des drames absolus, des destinées absolues également. Des êtres veules se manifestent dans toute leur médiocrité, et des êtres d'exception se révèlent. Naturellement, la figure du Général de Gaulle se révèle clairement comme une figure tout à fait visionnaire, qui nous explique très à l'avance quel sera le déroulement de cette guerre à venir. Comment peut-on expliquer qu'il ait été à ce point précis dans le déroulement de la guerre ?
Il n'est pas le seul, Churchill aussi. Je crois que ce sont deux hommes qui, d'une certaine manière, sont des non-conformistes. Ils l'ont montré dans leur vie. De Gaulle, depuis les années 1930, développe des critiques sur l'organisation militaire. Et Churchill de son côté aussi a été l'un des seuls hommes de la classe politique anglaise qui a condamné les accords de Munich. Il a dit « Vous voulez vous évitez la guerre, vous aurez la guerre et vous aurez le déshonneur en plus ». Ils sont ouverts à la réalité. À partir de ce moment-là, ils font le diagnostique qui nous apparait évident mais qui ne l'était pas, puisque quand on regarde une carte, l'Allemagne d'Hitler contrôlait toute l'Europe, depuis la Vistule jusqu'à Brest, des Pyrénées au Cap Nord, donc c'était vraiment la victoire totale. L'Angleterre était une petite île, et elle était la seule à affronter le Reich, ce n'était pas une guerre mondiale, c'était une guerre à deux, et les deux hommes font le diagnostique que les Etats-Unis ne pourront pas se désintéresser du sort de l'Angleterre. Donc, dès lors que l'Angleterre continue la guerre, la défaite de l'Allemagne est assurée. Non pas parce que l'Allemagne est moins forte que l'Angleterre, mais parce que les Etats-Unis rejoindront l'Angleterre, et qu'entre l'Allemagne et la Russie, en dépit d'un pacte de non-agression, il y aura la guerre parce que le stalinisme est hostile, et réciproquement, au nazisme. Et c'est ce qui c'est passé.
Tous deux ont lu Mein Kampf.
Exactement. Churchill ne parlait pas allemand. De Gaulle parlait allemand, il avait été prisonnier en Allemagne de 1916 à 1918.
Ce qui est plus troublant, c'est que vous attribuez à Guderian, et même à Hitler, une lecture et une bonne compréhension des théories militaires de de Gaulle.
C'est sûr. Les textes de de Gaulle ont été traduits en allemand, et ont été lus, Guderian le dit, par Hitler et par lui-même.
1940, de l'abîme à l'espérance, XO Éditions
Propos recueillis par Emmanuel Abela et Stéphanie Munier le 24 avril à la winstub Zuem Strissel à l'occasion de la rencontre organisée à La Librairie Kléber
Photo : Pascal Bastien