Control, d'Anton Corbijn

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L’histoire d’Ian Curtis présente ceci de tragique qu’elle tend irrémédiablement à sa fin. Le chanteur de Joy Division a eu pour destinée d’écrire les chansons les plus bouleversantes de son époque, mais aussi de disparaître de manière aussi soudaine que violente. Son suicide a privé la décennie des années 80 de l’une de ses idoles les plus charismatiques. Pour Anton Corbijn, raconter cette histoire relevait d’un double défi : dans un premier temps, il s’agissait pour le célèbre photographe hollandais, à qui l'on doit les superbe pochettes de disque de Depeche Mode, Echo & The Bunnymen et U2, d’endosser les habits du cinéaste pour une première réalisation sans le droit à la moindre erreur ; puis, il lui fallait éviter un certain nombre de pièges qu’il se serait tendu à lui-même par excès d’affectivité. Il n’était pas simple pour lui de raconter une histoire qu’il a vécue en partie — rappelons qu’il s’est lui-même installé à Manchester pour se rapprocher et partir à la rencontre de son groupe fétiche. C’est sans doute pour cela qu’il concentre son propos sur la figure d’Ian, plutôt que s’attarder sur l’évolution du groupe, sa discographie et son parcours même éphémère. À la vision, on se fait même la réflexion qu’il aurait pu tenter de raconter cette histoire sans fond musical, tant la musique semble passer au second plan d’une vie qui se délite. C’eut été nous priver de la magistrale interprétation que font Sam Riley et les membres de son groupe, 10000 Things de certains morceaux phares du groupe, sans sombrer dans le mimétisme austère. L’acteur britannique campe son personnage avec majesté, lui redonne vie de manière troublante — il reproduit la gestuelle désarticulée du chanteur sur scène avec beaucoup de réalisme —, nous révélant avec sobriété ses déchirures sentimentales intérieures. Si Anton Corbijn évite le biopic aisé, il n’en restitue pas moins avec brio une histoire de la musique pop britannique dans les années 70, au son de Roxy Music, David Bowie, des Sex Pistols ou des Buzzcocks, des artistes qu’il replace subtilement dans son contexte social le plus sombre. Les amateurs s’amuseront à guetter les détails en périphérie — une allusion à Jim Morrison ici, une autre au Crash de J.G. Ballard là, des pochettes de disque qui traînent, celle de Transformer de Lou Reed, et bien sûr celle de The Idiot d’Iggy Pop, le dernier disque écouté par Ian Curtis, la veille de sa mort. Une question se posait, bien sûr : comment achever ce récit, alors que tout le monde connaît la fin brutale de cette histoire ? Là aussi, le cinéaste a su éviter bien des écueils et recréer le drame avec force, comme si nous le découvrions pour la première fois. Il fait preuve d’une poésie cinématographique saisissante qui, bien au-delà de l'histoire de Joy Division, rend hommage à l’Angleterre éternelle. (E.A.)
D’Anton Corbijn, DVD La Fabrique de Films


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