Claude Lévêque, d'un monde à l'autre

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En réveillant le fantôme du haut-fourneau U4 à Uckange en Lorraine ou en faisant flotter le drapeau de l’anarchie à la Biennale de Venise, Claude Lévêque provoque des émotions visuelles et sensibles. Conversation avec l’auteur de Tous les soleils et du Grand Soir.


Il y a quelques années, tu confiais que c’était difficile d’aller au bout des commandes publiques. Comment s’est déroulée la mise en lumière du haut-fourneau U4 à Uckange ?
Ça c’est très bien passé, même s’il a fallu prendre en compte de nombreux facteurs, notamment les contraintes de sécurité. En plus de la mise en lumière proprement dite, j’ai très rapidement proposé un cheminement afin de permettre au public de circuler autour du site, de s’approcher au plus près et de monter sur les deux belvédères pour avoir une vue plongeante sur un panoramique de face du haut-fourneau et à l’arrière sur la halle de coulée.

En quoi cette « mise en lumière » se différencie-t-elle de tes autres œuvres ?

Sans parler de censure, un artiste ne peut pas produire le même langage dans un lieu public ouvert à tous que dans un centre d’art. J’ai répondu à ma manière à un certain nombre d’impératifs. Depuis sa fermeture, le haut-fourneau est comme un vaisseau fantôme. J’ai baptisé mon œuvre Tous les soleils parce qu’avec la fin de la sidérurgie, chaque site qui ferme est comme un soleil qui s’éteint. En travaillant sur place, j’ai appris des tas de choses passionnantes. J’ai aussi énormément circulé pour créer avec la lumière un véritable récit qui soit davantage une fiction qu’une affaire d’éclairage de type « monument ».

Sur place, la population a-t-elle compris ta démarche ?
Les gens voulaient savoir ce que j’allais faire et il a fallu que je présente mes idées bien en amont, ce que je ne fais pas habituellement. Sans être excessif, le budget était important. Je suis bien conscient que c’est difficile dans une région sinistrée de mettre autant d’argent dans un projet artistique. Une fois le projet lancé, j’ai pris un plaisir fou à suivre tout le chantier. Je n’arrivais plus à décoller ! J’ai même rencontré un conducteur qui m’a appris à conduire une pelleteuse, ce qui était un rêve de gamin !

T’intéresses-tu à la manière dont Tous les soleils va évoluer dans le temps ?

Un gros budget de maintenance est prévu et je suis extrêmement vigilant. Je pense que l’artiste dispose d’un droit moral et qu’il faut éviter qu’une œuvre se dégrade, comme cela a été le cas pour les colonnes de Buren au Palais Royal, ou soit dénaturée par des modifications trop importantes de son environnement. Si une œuvre n’a plus de sens, mieux vaut qu’elle soit enlevée. À Uckange, on peut imaginer une deuxième phase de l’œuvre si on permet un jour au public de pénétrer au cœur du haut-fourneau.

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Ce n’est pas risqué par les temps qui courent de représenter la France à la Biennale de Venise avec une installation baptisée Le Grand Soir ?
Non, il n’y a vraiment aucun risque car un artiste ne pèse rien face au pouvoir ! Parler de subversion, de provocation, de rébellion à propos de mon projet, c’est ridicule. Le Monde a parlé “d’anarchisme light à paillettes”, alors que j’ai conçu Le Grand Soir en réagissant à l’espace rococo très orné du pavillon français. Le parcours dans des cages permet d’être dans tous les espaces tout en étant dans l’incapacité de circuler librement. Le Grand Soir n’est pas un monument dédié à l’anarchisme, il y a plus de filiation au « spleen » Baudelairien, comme le tombeau des illusions… Et c’est aussi la mort. Ce qui m’intéresse le plus, c’est que les réactions soient variées. Tout le monde sait ce que je pense du gouvernement actuel. Je ne cache pas non plus être sensiblement favorable à un monde libertaire… Mais la Biennale de Venise est une manifestation tellement officielle que l’on accepte forcément une certaine forme de compromis en y participant. La Biennale est complètement désuète et les pavillons des différents pays me font penser à une exposition coloniale. La France devrait être représentée par un artiste africain…

Le pavillon allemand a eu tout à fait raison de choisir un artiste anglais ! C’est tellement dommage qu’il n’y ait pas plus de mélanges et de transversalité. Ce n’est vraiment plus le moment de choisir un artiste porteur du drapeau de son pays !

As-tu pensé à refuser de représenter la France ?
Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui refusent de représenter leur pays. Je ne cache pas que pour moi, ça a été un immense plaisir d’être choisi. Je l’ai pris comme une forme de reconnaissance pour ce que j’ai accompli pendant vingt-cinq ans. Même si je suis aussi un artiste institutionnel, beaucoup de gens étaient contents parce que c’était une façon de saluer toutes les petites structures avec lesquelles j’ai travaillé.

Tu n’as pas fait de petite dépression post-Venise ?
Non, ce n’est plus de mon âge ! Après l’inauguration, je suis allé pogoter au concert de Hatebreed à l’Elysée Montmartre ! Je me suis bien défoulé…

On te sait amateur de métal...

C’est vrai que j’aime beaucoup le métal hard-core pour l’énergie et que d’aller à un concert, ça me fait le plus grand bien. J’ai vu que Madball passe le 13 août au Grillen à Colmar, ça vaut le déplacement !

Propos recueillis par Philippe Schweyer
Article publié dans le numéro 3 du magazine Novo

Le Grand Soir, jusqu’au 22 novembre à la 53ème Biennale de Venise, Pavillon français.
Tous les soleils, jusqu’au 1er novembre au Parc du haut-fourneau à Uckange.
03 82 86 65 30 - www.valdefensch-tourisme.com


Une monographie de Claude Lévêque, Le Grand Soir, est coéditée par Flammarion, Culturesfrance et le Centre national des arts plastiques.
Un DVD Le Grand Soir réalisé par Armand Morin est coproduit par kamel mennour et Lab-Labanque
www.claudeleveque.com


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Le Grand Soir, 2009
Installation in situ, Pavillon français, 53ème Biennale de Venise
Sas d’entrée noir dans le péristyle, cages en inox, paillettes projetées, encadrement de lampes, drapeaux de soie noire, ventilateurs, projecteurs à découpe blancs, velums
Diffusion sonore : son de navire se déplaçant dans les 3 espaces latéraux du pavillon
Conception sonore en collaboration avec Frédéric Alstadt
Photographie : Léo Carbonnier
© ADAGP Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris

Tous les soleils, 2007
Commande publique, Haut Fourneau U4, communauté d’agglomération du Val de Fensch, Uckange.
Projecteurs et filtres, tubes fluo et lampes à infra rouge, cheminement en enrobé et belvédères en métal galvanisé, jumelles et panneaux d’orientation, peinture or.
Photo Olivier-Henry Dancy
© ADGAP Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris